Daya Bay,un partenariat historique

2024-02-18 13:23ParHERVMACHENAUD
今日中国·法文版 2024年2期

Par HERVÉ MACHENAUD

La construction sino-française de la centrale nucléaire de Daya Bay a engendré une confiance réciproque qui se solidifie.

Daya Bay,à Huizhou (Guangdong) le 12 janvier 2024

La centrale nucléaire de Daya Bay est la pierre angulaire sur laquelle s’est construite la confiance entre la Chine et la France et en tous points,un projet historique,peut-être le plus remarquable projet de coopération industrielle de l’histoire.

Vingt ans avant la rétrocession de Hong Kong,la conception et la création d’une joint-venture entre la province du Guangdong et la société China Light &Power (CLP) ont été l’œuvre commune de Deng Xiaoping,leader charismatique et visionnaire,et de Lord Kadoorie,un industriel hongkongais.Faisant fi des inquiétudes et des méfiances de l’époque,ils se sont engagés dans ce projet comme s’ils voyaient et savaient ce que la Chine deviendrait quarante ans plus tard.

Le choix de la France et de son modèle industriel dans lequel l’exploitant conçoit et construit ses propres centrales de production a façonné profondément le paysage nucléaire chinois,et le choix d’EDF comme maître d’œuvre associé au projet a fondé un partenariat sans équivalent.

Dans le contrat qui la liait à la société Guangdong Nuclear Power Joint-Venture Company (GNPJVC),EDF a accepté,à travers sa mission de gestionnaire technique,de porter la responsabilité technique jusqu’à la « bonne fin » du projet.Responsabilité assortie d’aucune autre sanction que celle d’assister le maître d’ouvrage jusqu’à la mise en service de la centrale.C’est ce contrat qui a scellé le pacte de confiance originel entre la France et la Chine,entre EDF et ce qui est devenu China General Nuclear Power Corporation (CGN).

Apprendre à se connaître

Il faut se souvenir dans quelle atmosphère se sont déroulées les négociations pour réaliser comment,par-dessus les barrières,se sont construites la confiance et de vraies amitiés.C’est qu’au-delà de la méfiance,chacun,de part et d’autre,s’est engagé de bonne foi dans la réussite du projet et la rencontre de l’autre.Ainsi,à peine installées à Shenzhen,les premières familles sont invitées à passer le Nouvel An chinois à Xi’an,le berceau de la civilisation chinoise.Cela,à l’initiative de Li Weiyin qui,sacrifiant la fête familiale,s’est consacrée à l’accueil de ces jeunes Français.Mme Li,directrice de l’ingénierie chinoise du projet,chargée d’intégrer le savoir-faire français en Chine,sera,par sa générosité et sa hauteur de vue liée à une grande compétence,l’ange bienveillant de notre intégration et de notre compréhension progressive de la Chine.C’est elle qui,quelques mois après le début du projet,jugeant inefficace le fonctionnement de deux ingénieries,une française opérationnelle et une chinoise observatrice,proposera de les fusionner sous la direction d’EDF.Elle a été la médiatrice dans la résolution des incompréhensions,des procès d’intention et des malentendus.Grâce à elle,nous avons appris à passer au-delà des comportements ressentis a priori comme hostiles et y découvrir des expressions propres de la culture chinoise,et ainsi,établir des relations plus amicales.Elle nous a appris ce qui,35 ans après,m’apparaît comme étant la plus grande leçon,à savoir apprendre à passer de la position extérieure à la vision intérieure,du jugement suivant ses propres critères à la perspective suivant les références de l’autre.

D’autres personnages majeurs ont également été les éléments-clés de l’établissement de la confiance.Ainsi,Zan Yunlong,le directeur général de GNPJVC,exceptionnel manager,discret,simple et attentif,Zeng Wenxing,directeur général adjoint et chef du projet,Gao Shenjun,chef d’établissement,mais aussi Yan Boming et Guo Wenjun,tous deux intégrés à la gestion technique,et bien d’autres encore.Il faut aussi citer Peter Littlewood,principal représentant du partenaire hongkongais,d’abord plutôt hostile à la participation d’EDF et ensuite convaincu par le professionnalisme acquis pendant la construction du parc français.

« La grandeur d’un métier c’est,peut-être avant tout,d’unir les hommes »,écrivait Antoine de Saint-Exupéry dansTerre des Hommes.

C’est dans ce contexte qu’EDF décidera,pendant la construction de Daya Bay,de proposer à GNPJVC la liste des modifications étudiées pour la première décennale de Gravelines,la centrale de référence de Daya Bay.Ce geste n’allait pas de soi.Il sera apprécié à sa juste valeur,et plus tard,alors que l’exploitation relevait de la responsabilité de CLP,CGN décide de la confier à EDF qui enverra soixante exploitants pour démarrer la centrale et former les équipes chinoises.

Sceller une confiance durable

Au moment où Daya Bay va démarrer,à l’occasion de la visite de Pierre Daurès,directeur général d’EDF,Zan Yunlong lui annonce que le gouvernement a décidé la construction de sa petite sœur sur le site voisin avec les mêmes acteurs,mais avec des rôles différents.EDF aura un rôle d’assistance technique et les entreprises françaises participeront à la construction,mais Ling’ao sera une centrale chinoise,construite sous responsabilité chinoise par des entreprises chinoises.Pourtant la coopération se renforce dans tous les domaines de l’exploitation entre Français et Chinois.Elle se poursuit,aujourd’hui encore,entre le parc des 58 réacteurs français et la quarantaine de réacteurs chinois de même technologie.

Lorsqu’en décembre 2006,la Chine attribue l’appel d’offre lancé trois ans plus tôt pour la réalisation de son programme nucléaire à Westinghouse,elle commande deux EPR à la France et invite EDF à investir au côté de CGN dans ce projet et à l’accompagner pendant les cinquante ans de la durée de vie de la centrale.

En 2013,c’est EDF qui invite CGN à investir à ses côtés dans le projet de deux EPR à Hinkley Point,au Royaume-Uni,puis,plus tard,de deux autres EPR à Sizewell,avec la perspective de construire également deux réacteurs de la nouvelle technologie chinoise Hualong à Bradwell.

C’est avec laDéclaration conjointe sur l’approfondissement de la coopération franco-chinoise sur l’énergienucléaire civile,publiée par les deux gouvernements à l’occasion de la visite en France du Premier ministre Li Keqiang fin juin 2015,que le partenariat entre la France et la Chine aura culminé.Souhaitons pour nos deux pays que les orientations prises ce jour-là se concrétisent.

Les enseignements de quarante ans de collaboration

Francis Mer,alors ministre français des Finances,lors de son passage à Beijing en novembre 2003,après avoir entendu le chapelet des doléances des entreprises françaises,avait été clair.« Aucun pays n’agit à l’encontre de ses intérêts,il est peu vraisemblable que la Chine fasse exception.Réfléchissez-y,ou bien votre stratégie d’entreprise est compatible avec les intérêts de la Chine et vous avez des chances de prospérer,ou bien elle ne l’est pas… »,avait-il dit.Une remarque,frappée au coin du bon sens qui me paraît plus que jamais actuelle.

Claude Meyer,professeur à Sciences Po,dans un livre sur le dialogue entre l’Europe et la Chine décrit,sans concession,les conditions du dialogue qui sont les conditions de la collaboration.D’abord,se connaître et se respecter.Se connaître pour se respecter.

Li Weiyin,Zan Yunlong,Zeng Wenxing et bien d’autres nous ont appris à retenir nos jugements,à chercher à comprendre d’où parlait l’autre,depuis quel monde,depuis quelle culture différente il nous parlait,à comprendre la Chine depuis l’intérieur de la Chine.

Je conclurai en citant les propos de Margaret Wheatley,qui écrit sur le leadership.« Ce ne sont pas nos différences qui nous séparent,ce sont nos jugements.Ceux que nous portons les uns sur les autres.»