Les goûts changent

2016-12-01 07:41ZhengYang
中国与非洲(法文版) 2016年11期

Les goûts changent

Alors que le secteur des repas commandés en ligne offre des options plus nutritives, les nouilles instantanées perdent de leur attrait par Zheng Yang

DaNS son bureau, l’un des tiroirs de Qi Lian était utilisé pour cacher son stock de nouilles instantanées. Dès qu’elle travaillait de nuit, elle prenait un paquet, ajoutait de l’eau chaude et en trois minutes, son dîner était prêt. En plus, cela ne lui coûtait que 4 yuans (0,6 dollar). Mais depuis que l’un de ses amis lui a fait découvrir une application pour commander des repas en ligne, Qi Lian l’a rarement rouvert. Placer une commande sur son smartphone ne lui prend qu’une minute. Et trente minutes plus tard, un livreur frappe à sa porte avec sa commande : un repas chaud, substantiel et nutritif, avec du riz, de la viande et des légumes, le tout pour une vingtaine de yuans (3 dollars). « C’est plus cher que les nouilles, mais cela reste abordable et je pense que ça vaut le coup, explique cette jeune femme de 26 ans, résidant à Beijing. Au moins, je sens que je mange plus sain. » Qi Lian fait partie des 150 millions de consommateurs chinois, qui se sont mis aux applications de commandes en ligne, selon les chiffres du Centre d’information sur le réseau Internet de Chine (CNNIC).

Un secteur en déclin

Le 5 septembre fut un jour funeste pour Tingyi, le plus grand producteur chinois de nouilles instantanées. L’entreprise a été officiellement retirée des titres composant la Hong Kong Hang Seng Index (HSI), après une chute de 60 % de ses profits au premier semestre 2016. Tingyi a rejoint la HSI en 2011 à l’apogée d’un cycle de prospérité de dix ans, au cours duquel la valeur de son action a été multipliée par plus de 20. Ce succès s’inscrivait dans le contexte d’un âge d’or des nouilles instantanées en Chine.

Inventées par l’homme d’affaires japonais Momofuku Ando à la fin des années 1950, les nouilles instantanées se sont rapidement propagées en Asie avec l’avènement des plats cuisinés. Mais c’est seulement après la conquête de l’important marché chinois, que leurs ventes ont véritablement décollé. Ses avantages sont faciles à comprendre : elles sont pratiques, bon marché et accessibles ; une combinaison parfaite pour les besoins des personnes à faibles revenus, celles piégées dans un rythme de vie effrénée et n’ayant pas le temps de cuisiner un vrai dîner, ou encore les voyageurs faisant de longues distances en train.

Les nouilles instantanées sont très populaires parmi les voyageurs.

Lorsque Tingyi rejoint la HSI, la Chine est la première consommatrice au monde de nouilles instantanées et en produit plus de la moitié en volume. Pionnière sur ce marché, Tingyi obtient la plus grande part d’un très gros gâteau. Selon le rapport financier de l’entreprise en 2012, les usines de Tingyi à Tianjin produisaient près de 5 milliards de paquets de nouilles instantanées par an plus que la production totale combinée de toutes les usines de nouilles instantanées au Japon générant 4 milliards de dollars de revenus. Mais la même année, les ventes de nouilles instantanées en Chine commencent à chuter. Un rapport publié cette année par l’Institut chinois des sciences et des technologies alimentaires confirme cette tendance : le volume des ventes de nouilles instantanées en Chine a décliné pendant cinq années consécutives et six producteurs ont déjà quitté le marché. En août, Tingyi a reçu son pire rapport financier semestriel de ces dix dernières années, et ses concurrents doivent également faire face à une chute de leurs ventes.

En 2015, le marché des commandes de repas en ligne s’élevait à 6,2 milliards de dollars en Chine.

Zhu Danpeng, chercheur à l’Institut de recherche des marques de Chine, attribue cette situation précaire au changement dans l’environnement du marché : la demande pour les plats cuisinés dans les trains a diminué avec le développement des voies ferrées à grande vitesse ; la population de travailleurs migrants à faibles revenus a diminué avec l’urbanisation de la Chine ; et enfin, les services de commandes de repas en ligne ont apporté aux consommateurs plus d’options.

Des options plus saines

Si le 5 septembre était un jour particulièrement morose pour Tingyi, c’était un jour de travail comme un autre pour Zhang Jun. Entre 11 h et 14 h, ce livreur de 31 ans se hâte à travers les rues de Beijing sur sa moto. L’application sur son téléphone lui dit dans quel restaurant récupérer les commandes et à quelle adresse les livrer. Le temps de livraison imparti est de 40 minutes. Pour chaque livraison, il gagne entre deux et six yuans (0,3 - 0,9 dollar). Avec un salaire de base, cela peut permettre d’atteindre un salaire mensuel de 5 000 yuans (742 dollars), un salaire décent à Beijing pour les personnes sans diplôme ou compétence professionnelle.

Ce travail n’existait quasiment pas il y a cinq ans. Mais aujourd’hui, les hordes de livreurs filant à toute vitesse sont devenues une caractéristique des villes chinoises. Les livreurs sont connectés avec les restaurants grâce aux plate-formes de commandes en ligne, auxquelles ont accès 150 millions de consommateurs chinois par l’intermédiaire de leurs smartphones.

Ele.me, l’une des quatre plate-formes majeures de commandes de repas en ligne, a été fondée en 2009. En moins de sept années, l’entreprise a étendu son commerce à plus de 1 000 villes chinoises et 500 000 restaurants. Elle est désormais à la pointe de ce marché avec un volume commercial journalier de 200 millions de yuans (30 millions de dollars), d’après un rapport publié par l’entreprise en août. Cette nouvelle tendance bénéficie également aux restaurants. South Memory, une chaîne populaire de restaurants chinois, dit recevoir jusqu’à 4 000 commandes en ligne par jour. Jusqu’en 2015, le marché des commandes de repas en ligne en Chine valait environ 44 milliards de yuans (6,2 milliards de dollars), soit à peu près la même taille que le marché des nouilles à son apogée. D’après la CNNIC, ce marché devrait encore continuer à grandir pour atteindre les 150 milliards de yuans (22 milliards de dollars) en 2018.

Les commandes de menus en ligne ne sont que l’un des autres miracles du e-commerce, mais selon Wu Xiaobo, commentateur financier, tout cela ne repose pas sur la seule puissance d’Internet. Au cours des dernières années, le marché de l’alimentation et des boissons a également été transformé par l’attention toujours plus grande des consommateurs à une alimentation saine. Dans une récente étude de l’entreprise d’études Nielsen, trois-quarts des personnes interrogées affirment qu’elles sont prêtes à payer plus pour une nourriture saine, sans arôme artificiel ni OGM. Dans un tel contexte, les nouilles instantanées ne sont pas la seule nourriture à perdre les faveurs des consommateurs. D’après un rapport de l’entreprise d’études CTR Market Research, la vente de bière, de boissons sucrées et d’aliments préemballés, comme la crème glacée et les sucreries, a également chuté en 2015. Dans le même temps, certains aliments plus nutritifs, comme le yaourt et certaines boissons énergétiques, ont augmenté leur part de marché.

« Autrefois, les consommateurs ne faisaient pas vraiment attention à l’alimentation saine, car cela prenait beaucoup plus de temps et d’argent, explique Qi Lian. Mais maintenant que nous avons une grande variété de services en ligne pour la rendre facile et accessible, pourquoi pas ? » CA

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