Le pouvoir des échanges académiques
Si nous parlons beaucoup du rôle de la Chine dans le développement du continent africain via commerce et infrastructures, les échanges entre les institutions académiques et leur capacité à renforcer les relations Chine-Afrique, pour leur part, passent souvent inaperçus.
C’est ce constat qui, en août dernier, a poussé Adam Habib, recteur de l’Université de Witwatersrand(Wits), à Johannesburg en Afrique du Sud, à conduire une délégation académique en Chine, où ils ont pu visiter un certain nombre d’universités de premier plan, dont l’Université des sciences et technologies de Hong Kong, l’Université de Pékin et l’Université Tsinghua.
Ces visites, qui cherchaient à explorer de nouvelles opportunités pour la collaboration en matière de recherche en ingénierie, médecine et sciences, devraient s’aligner avec les priorités nationales sud-africaine et chinoise dans ces domaines, ainsi qu’avec l’initiative des « Nouvelles Routes de la soie ». CHINAFRIQUE s’est entretenu avec Adam Habit pour comprendre quels rôles ces partenariats et échanges académiques jouent dans l’approfondissement des relations Chine-Afrique. Voici les extraits de ses opinions :
De nombreux étudiants africains intègrent les universités chinoises chaque année.
Adam Habib : À quoi sert une université ? Commençons par là. Il semble qu’une université ait de multiples rôles. Premièrement, elle forme des professionnels pour la société et le monde ; deuxièmement, elle propose des solutions aux problèmes sociaux ; et troisièmement, elle bâtit une citoyenneté collective qui va au-deIà de I’État et du continent [et] qui est, au fi naI,globale. Voilà son but et c’est ainsi que j’estime que les universités jouent un rôle primordial dans la création de meilleures relations à travers le monde.
Professeur Adam Habib
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Quand les étudiants de l’Université de Wits viennent à l’Université Tsinghua ou celle de Pékin et inversement, ils créent non seulement une communauté académique globale, mais aussi une citoyenneté collective universelle, et c’est pourquoi les universités sont tellement cruciales.
Je crois que [les partenariats académiques entre l’Afrique et la Chine] sont absolument cruciaux. Mais à mon avis, nous n’en avons pas fait assez.
L’Université Tsinghua est en passe de former 50 étudiants sud-africains spécialisés en ingénierie nucléaire. Un membre de mon équipe a passé les six derniers mois à l’Université de Pékin. Cela veut dire que la collaboration existe dans les faits. Mais, nous devons nous investir davantage, avec non seulement des fonds, qui sont certes indispensables, mais aussi un agenda précis et énergique. Et cela correspond à l’objectif de cette [visite], qui cherche à créer une telle dynamique à partir de ces projets.
Nous n’avons pas suff i samment de projets en ingénierie, médecine et sciences. Par contre, nous en avons plusieurs dans le domaine humain, comme par exemple un projet sur le journalisme qui est en cours.Mais nous voulons veiller à ce que notre collaboration avec nos homologues chinois s’étende à toutes les disciplines. Quand nous avons su que les universités chinoises développaient le big data, l’idée nous est donc venue de nous focaliser sur ce domaine, que l’Afrique du Sud cherche aussi à promouvoir.
De mon point de vue, si nous avons lancé ce projet,c’est parce que nous comptons une excellente école de journalisme et qu’il nous semble indispensable de créer un environnement où les journalistes chinois puissent mieux comprendre l’Afrique – car si vous comptez faire un reportage sur l’Afrique, vous devez d ’abord la comprendre. Et c’est aussi le cas de nos journalistes sud-africains qui souhaitent faire le point sur la Chine. L’enjeu de notre projet consiste donc à permettre aux journalistes chinois et africains de s’acclimater à la société de l’autre.
Les médias jouent un rôle capital ; ils ont la capacité de rompre et de renforcer nos relations, et cela explique aussi l’importance de ce projet ; les médias doivent apprendre à raconter les choses d’une manière qui convient à leurs lecteurs. Il leur faudrait aussi faire plus de reportages sous un angle humain. Pourquoi les gens prennent-ils de telles décisions ? Pourquoi sont-iIs confrontés à teIs ou teIs déf i s ? Et iI existe une différence entre l’engagement des peuples et celui des États. Il est donc indispensable de mieux se comprendre.
Le public est différent de l’État. Ce dernier a un agenda, qui est institutionnel et peut être aussi légitime ; mais le nôtre, qui est public, est plutôt de ref l éter Ia diversité des points de vue dans nos sociétés respectives. Si j’insiste sur la « diversité », c’est que nos propres sociétés ne sont pas homogènes, que ce soit au niveau racial, linguistique ou culturel. Et donc, nous devons raconter ces histoires dans leur ensemble. C’est ce qu’il faut faire en Chine comme en Afrique.
Le monde change en permanence, et nous allons faire partie d’une humanité commune bon gré mal gré.Étudier dans d’autres sociétés est donc important. Ce que je voudrais partager avec nos étudiants, c’est qu’ils devraient apprendre à s’y immerger. Ne vous enfermez pas dans la « tour d’ivoire » de votre université et intégrez-vous plutôt dans la société qui vous accueille. CA